Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/01/2014

"Rien n'arrête l'homme en marche"

La dune a reculé, le calcaire s'écroule.

"Il faut très peu de temps aux flots de la mer pour dégrader une côte; un siècle ou deux suffisent, quelquefois moins de cinquante ans, quelquefois un coup d'équinoxe. Il y a la destruction continue et la destruction brusque."

écrivaiV. Hugo  en juillet 1855

Mais c'est beaucoup plus tard, dans la dernière livraison de La légende des Siècles (1883) qu'on trouve ce dialogue :

Que dit l' Océan ?

"J'ai ma vague, Etna se lave.IMG_0767.jpg

Etna n'est pas un esclave.

Ni moi non plus.

J'ai pour reine et pour captive

La sombre terre attentive

À mon reflux.

 

Je ne suis pas fait pour être,

Comme le sentier champêtre,

Plein de vivants ;

Je suis l'Onde en sa tanière,

Que prennent à la crinière

Les quatre vents !

 

Je suis le noir gouffre inculte ;

Je donne, en mon fier tumulte,

Où rien ne ment,

Pour maître aux flots sourds l'air libre,

Et pour base à l'équilibre

Le tremblement.

 

Rien n'arrête et ne dirige

Mon formidable quadrige,

Que les typhons

Traînent, et qui, de la Perse

Jusqu'aux Hébrides, disperse

Ses bruits profonds.

 

Je suis la vaste mêlée,

Reptile, étant l'onde, ailée,

Étant le vent ;

Force et fuite, haine et vie,

Houle immense, poursuivie

Et poursuivant.

 

Je suis, dans l'ombre étoilée,

La figure échevelée

De l'inconnu ;

Ma vague, qu'Éole augmente,

Est, quand il lui plaît, charmante

Comme un sein nu.

 

Je ne suis pas votre auberge,

Je suis la tempête vierge

Qui peut briser

Caps et rochers comme verre,

À qui parfois le tonnerre

Prend un baiser.

 

Je m'appelle solitude,

Je m'appelle inquiétude,

Et mon roulis

Couvre à jamais des navires,

Des voix, des chansons, des rires,

Ensevelis.

 

Je suis funeste et salubre.

Je suis le fileur lugubre

Des noirs vallons

Que l'orage sans fin mouille,

Et qui file à sa quenouille

Les aquilons.

 

Je suis, dans l'écume en poudre,

Le combattant de la foudre,

L'hydre titan.

Je suis sans forme et sans nombre.

Venez, les vents, l'horreur, l'ombre.

Homme, va-t'en.

 

Je suis souffle, éclair et lame.

Je prends volontiers leur âme

Aux curieux.

Je suis le triple Cerbère

Dont le regard réverbère

Dieu furieux.

 

J'ai plus de nuit que la tombe.

Léviathan dans ma trombe

N'est plus qu'un ver ;

Tout tremble sur mon épaule.

Je lie au poteau du pôle

Le spectre hiver.

 

Homme, la terre est ta mère.

Cherche ton bien éphémère

Dans ses douleurs ;

Broie, arrache, brûle, embrasse.

Perce des chemins. Écrase

Ce tas de fleurs !

 

La plaine, quand on la ferre,

Obéit, et laisse faire

L'homme ennemi.

La terre est une imbécile ;

Et la montagne est docile

À la fourmi.

 

Les Alpes sont des géantes

Terribles, fauves, béantes,

L'orage au cou ;

L'homme rit des monts féroces,

Et, taupe, sous les colosses,

Il fait son trou.

 

Moi, je ne suis pas la rue.

J'ai pour roue et pour charrue

Le tourbillon ;

Je bondis, c'est ma manière ;

Je n'accepte pas l'ornière

Ni le sillon.

 

J'écume à flots sur ma grève,

Va-t'en. Ne viens pas, fils d'Ève,

Frêle rival,

Sauter sur mon dos farouche

Et mettre un mors à la bouche

De mon cheval.

 

Ma plaine est la grande plaine ;

Mon souffle est la grande haleine

Je suis terreur ;

J'ai tous les vents de la terre

Pour passants et le mystère

Pour laboureur.

 

Le météore en ma houle

Tombe, la nuée y croule

En rugissant ;

L'écueil, écumant monarque,

À qui je donne la barque,

Me rend le sang ;

 

L'aurore avec épouvante

Regarde mon eau vivante,

Mes rocs ouverts,

Mes colères, mes batailles,

Et les glissements d'écailles

Sous mes flots verts.

(...)


Et l'homme répond :

  

Et l'homme dit : — Mer affreuse,

 Que le char des foudres creuse

Sous son essieu,

Tais-toi dans ton ossuaire.

 Tu cherches ton belluaire ?

Gouffre, c'est Dieu !

 

Écoute-moi. La loi change.

Je vois poindre aux cieux l'archange !

 

L'esprit du ciel

 M'a crié sur la montagne :

 « Tout enfer s'éteint ; nul bagne

 N'est éternel. »

 

Je ne hais plus, mer profonde.

J'aime. J'enseigne, je fonde.

 Laisse passer.

 Satan meurt, un autre empire

Naît, et la morsure expire

Dans un baiser.

  

Tu ne dois plus dire : arrière !

Tu n'es plus une barrière,

 Dragon marin.

 Sers l'avenir ! porte l'arche.

 Rien n'arrête l'homme en marche

Vers Dieu serein.

 

Rien ! pas même toi, chimère,

Monstre de l'écume amère,

Géant puni,

Toi qui, seul dans ta nuit sombre,

As fait ton onde avec l'ombre

 De l'infini !

 

Je vais ! je suis le prophète.

 À la houle stupéfaite

 Je dis mon nom.

 La trombe accourt ; ma pensée

 Fait rentrer cette insensée

 Au cabanon.

 

L'esprit de l'homme, lumière,

 Domptant la nature entière,

Onde ou volcan,

 Plonge sa clarté sacrée

 Dans la prunelle effarée

 De l'ouragan.

 

Pour qu'à nos pas on se range,

 Nous n'avons qu'à dire à l'ange

 Comme aux démons,

 Qu'à dire aux torrents de soufre,

 Et qu'à te dire à toi, gouffre :

 Nous nous aimons !

 

L'amour, c'est la loi suprême.

 L'amour te vaincra toi-même.

 Ton bruit est vain.

 Pour que, caressant ta grève,

 Ton hymne d'enfer s'achève

 En chant divin,

  

Pour que ton hurlement tombe

 Il suffit que la colombe

 Qui vient le soir,

 Ô sombre gouffre d'écume,

 Laisse tomber une plume

 Sur ton flot noir.

 

 

L'amour, c'est le fond de l'homme.

 L'amour, c'est l'antique pomme

 Qu'Ève cueillit.

 L'ombre passe, l'amour reste.

 Il est astre au dais céleste,

Perle en ton lit.

 

Nos inventions nouvelles

 Prendront à tes vents des ailes ;

 Dieu nous sourit ;

 Nous monterons sur ta rage,

 Nous attellerons l'orage

 À notre esprit.

 

 

 Oui, malgré tes chocs sauvages,

 Nous lierons tes deux rivages

 D'un trait de feu ;

 L'avenir aura deux Romes,

 Et, près de celle des hommes,

 Celle de Dieu.

 

 L'avenir aura deux temples,

 Deux lumières, deux exemples,

 Un double hymen,

 La liberté, force et verbe,

 L'unité, portant la gerbe

 Du genre humain.

 

 Tais-toi, mer ! Les cœurs s'appellent ;

 Les fils de Caïn se mêlent

 Aux fils d'Abel ;

 L'homme, que Dieu mène et juge,

 Bâtira sur toi, déluge,

 Une Babel.

 

 À cette Babel morale

 Aboutira la spirale

 Des deux Sions,

 Où sans cesse recommence

 Le fourmillement immense

 Des nations ;

 

 Et tu verras sans colère,

 Du tropique au flot polaire

 Dieu te calmant,

 Au-dessus de l'eau sonore,

 Se construire dans l'aurore

 Superbement

  

Les progrès et les idées,

 Pont de cent mille coudées

 Que rien ne rompt,

 Et sur tes sombres marées

 Ces arches démesurées

 Resplendiront."


Il faut espérer maintenant que les grands travaux pour "enrocher "la dune soient finis avant la grande marée du 31 janvier.

 

Les commentaires sont fermés.