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25/03/2009

La Destinée de Jacqueline

Dans notre grand concours de la semaine de la langue françaisestrong>, nous avions demandé des saynètes, c'est-à-dire des pièces très courtes. En une page, maximum trois. En signes typographiques de 1500 signes à 5000 signes. Nous serions allés jusqu'à 6000. Mais Jacqueline, emportée par sa verve et son talent, nous a écrit une pièce de plus de 19 000 signes : Destinées...
Hors concours ! Mais avec les félicitations du Jury qui souhaite que sa pièce soit jouée. On demande donc des volontaires, deux hommes, deux femmes, âge moyen.
Pour en juger, voici un extrait.


Destinées
Extrait
scène 2

Daisy chantonne, va et vient, un tricot dans les mains mais plante tour à tour, l’une ou l’autre aiguille dans sa coiffure.
Daisy : Pernelle ! … Est-ce que tout est prêt pour ce soir ?
Pernelle apparaît, mais reste en partie cachée par la porte de la cuisine
Pernelle : Mais, oui, mademoiselle, et toi ? Es-tu suffisamment élégante pour cette soirée ?
Daisy : Je ne reçois pas une princesse de sang, mais mon frère qui vient me présenter sa fiancée.
Pernelle : On dit ça, mais on veut quand même paraître ! Je te connais …
Un train siffle au loin …
Daisy : C’est le train …
Pernelle : Et alors ! Il vient en voiture ! Il n’y a pas le feu, en voilà des manières, même Blondie ne tient plus en place ! Le génome de la famille sans doute …
Daisy : pourvu que …
Elle paraît préoccupée et songeuse …
Pernelle se retourne brusquement écoutant un bruit.

Pernelle : On sonne à la grille !
Daisy : Va voir ... Sois pas godiche … Gaétan a oublié sa clé, ça ne m’étonne pas !
Pernelle de retour, effarée, ne sait comment dire.
Pernelle : C’est un monsieur …
Daisy : Un monsieur ? Que veux-tu dire ? Je ne reçois pas !
Pernelle : Regarde ! Il est près de moi !
Daisy se retourne. Reste muette devant l’homme qui ne la regarde pas. Il s’adresse à Pernelle.
Georges : Suis-je chez Monsieur Palais ?
Daisy : Chez mademoiselle Palais.
L’homme se retourne vers Daisy et parait surpris en la voyant.
Georges : Toi ? C’est toi ? … C’est inouï … Pas possible … Je rêve …
Il se laisse tomber dans un fauteuil, se relève, ajuste son imperméable et réajuste son col.
Georges : Merde alors ! … C’est pas ce que je veux dire. C’est la surprise ! C’est absurde …
Daisy : Qu’est-ce que je dois dire, moi !
Georges : Moi, je ne sais plus, pour une fois je suis sans voix, ça ne m’est jamais arrivé ; je croyais pouvoir faire face à toutes les situations.
Daisy : D’où viens-tu ? Pourquoi cette arrivée dans mon humble demeure ? D’où tombes-tu ? Et pourquoi ce soir ? Tu arrives très mal, j’attends Gaétan qui me présente sa fiancée.
Georges regarde Daisy intensément.
Georges : (éclatant de joie) C’est extraordinaire que je sois chez toi ! Je n’en reviens pas … Ce hasard … Bien heureuse coïncidence. Qu’ai-je fais pour avoir cette chance ? Alors que …
Daisy : Je ne sais pas si tu le mérites, je trouve ta présence absurde, et pourquoi ce soir ? Et, comment as-tu fait pour trouver mon adresse ?
Georges : Je suivais un couple depuis Paris ; je l’ai perdu de vue près d’ici et voyant la maison depuis la route, je suis venu me renseigner ; je crois comprendre que l’homme est ton frère ! Vrai ?
Daisy : Je ne sais pas …Mais pourquoi ?
Georges : Je t’expliquerai plus tard … (Sur un ton câlin) Sais-tu chérie, que je te trouve merveilleuse, toujours aussi belle, tu es restée sans mes pensées et dans mon cœur …
Daisy : Tu me fais rire … (Elle rit sans joie). Tu m’as oubliée pendant toutes ces années et dans quelques secondes tu vas me faire une déclaration d’amour …
Georges : Mais oui … À l’instant, si tu le veux.
Il se met à genoux devant elle et fait signe de l’implorer.
Georges : Je t’aime … t’aime … toujours … encore plus ce soir !
Daisy le balayant d’un coup de jupe.
Daisy : Tu rigoles !
Georges redevenant sérieux, se relève.
Georges : Sais-tu que ta disparition brutale a étonné tout le monde ! Et je t’ai cherchée à mon retour à Paris. Personne n’a pu, ou n’a voulu, me renseigner. Mes amis, les tiens, muets comme des carpes. (Criant) Dis-moi, je veux savoir !
Daisy soudain sérieuse :
Daisy : Oh, c’est banal et triste, une longue histoire, pas très jolie et tellement loin de tout ce que j’avais rêvé, une belle époque qui bascule, époque remplie de bonheur, de succès et d’insouciance. Quand la douleur arrive, on surmonte sa peine on souhaite que la joie revienne et qu'elle redevienne pérenne… Quand tout bascule brutalement, on se doit de prendre des décisions brutales qui transforment une vie de rêve en vision de cauchemar …
Il faut capter son énergie pour produire autre chose de moins frivole, j’ai fait de mon mieux…
Georges d’une voix tendre et attentive
Georges : Dis-moi qu’est-il arrivé ?
Daisy d’une voix sans tonalité
Daisy : Un accident de voiture comme il y en a tant … Mes parents, ma toute jeune belle-sœur … morts ; mon jeune frère blessé, seule, leur toute petite fille, un bébé, était indemne.
Georges maintenant aux pieds de Daisy qui s’est assise :
Georges : Ma grande, je n’ai rien su, personne ne m’a dit …
Daisy : Tu étais à Rio, ton spectacle marchait bien … Heureusement, Pernelle était auprès de moi.
Georges : Gentille Pernelle, ton habilleuse, je l’ai reconnue en arrivant …
Daisy : Avec elle j’ai soigné mon frère, élevé sa fille ; me suis enracinée dans la maison familiale. J’ai transformé ma vie, je suis presque une vieille fille rompant avec tout mon passé, mais pas avec toi, car moi aussi je t’ai recherché, mais trop tardivement pour te retrouver. Et j’ai abandonné, restant seule avec ma peine.
Daisy fait la moue, secoue la tête lorsque Georges enlace ses jambes.
Daisy (le repoussant): Ne fais pas le gamin ! Je n’ai plus vingt ans !
Georges : tu dis n’importe quoi, ta vision de la vie est faussée, tu vois les événements de la lune, dans un clair de terre plus obscur que nature, mais tu es jeune de cœur, jeune d’esprit et … Toujours aussi désirable … Et je t’aime !!!!


La suite, peut-être, si vous nous trouvez des acteurs, pour la mettre en espace, en voix, en jambes, sur scène, quoi !

20/03/2009

Résultats du concours (5)

Et voici le premier prix de notre concours de la semaine de ma langue française. C'est un texte de Danielle Siron. Je vous laisse découvrir la douceur, l'intelligence et la délicatesse des personnages et des sentiments. La situation dramatique ? Un subtil mélange de réel et de surnaturel, d'inquiétude et d'apaisement. Le jury a été unanime devant ce texte porteur d'espoir.



DES MOTS POUR DEMAIN

C’est le matin. Une jeune femme enceinte s’étire sur le bord de son lit.

La maman : Bébé je crois que tu es prêt. Maintenant il faut te décider ! Qu’attends-tu ? Tu ne veux pas venir à la découverte de ton nouveau monde ?

le bébé : pas sûr…

La maman : Bébé, c’est toi qui as dit ça ?

le bébé : Oui, c’est moi…

La maman : Mais…

le bébé : Je suis bien chez toi ; pas sûr de vouloir d’un ailleurs.

La maman : Mais ce n’est pas possible de rester là où tu es, tu vas devoir venir me montrer le bout de ton nez ! Tu n’as pas l’air très curieux, mon tout petit !

le bébé : Ne crois pas cela. Au contraire. Cela fait déjà quelques temps que j’essaie d’imaginer ce jour et même les lendemains de ce jour, de m’en faire une vision douce, accueillante, poétique…

La maman : Et … ? ça ne marche pas ?

le bébé : Souvent, si. Je dresse tous mes capteurs et mes sens s’affairent, même le sixième…J’ai déjà découvert le bruissement du vent dans les arbres, la légèreté du clapotis de l’eau, la joie partagée avec tous ceux qui parlent et chantent avec toi. Et aussi le mouvement et le repos, la musique et le silence, tant d’instants à désirer …hmmm ! !

La maman : Tu as déjà ressenti de belles émotions, j’en suis si troublée… Et tu verras lorsque tu auras accepté de venir ici, de te transformer en terrien un peu moins aquatique ; Toutes tes émotions seront plus vives, plus colorées… Plus intenses… Plus belles aussi je crois, car la magie de ce monde persiste dans la fraîcheur des regards.

le bébé : Magie…mystères…
Je ne comprends pas tout ce que je perçois. Ou, peut-être que je ne souhaite pas comprendre quelques fois. Tiens par exemple, je capte des séries de «clics» froides et inquiétantes…

La maman : Non Bébé ! Ne t’en fais pas pour ça ; c’est ce qu’on appelle la technologie. Je t’explique : «clic», la bouilloire s’éteint, «clic», j’allume une lumière artificielle, «clic, clic, clic» j’écris sur le clavier pour mes amis. La technologie c’est ce qui nous a permis de construire des engins spatiaux, d’aller sur la lune contempler le clair de terre (magnifique !). Alors on s’est mis à rêver d’aventures nouvelles. Et dans le même temps, beaucoup ont pris conscience que notre planète si belle, si généreuse était un peu seule et réellement limitée. N’oublie jamais de la saluer chaque matin au réveil.

le bébé : Il faudra me guider

La maman : Oui, je t’expliquerai.
Et je peux même rajouter que grâce à la technologie on a pu inventer des objets plus ou moins fabuleux qui nous rendent la vie plus confortable, plus souple, plus douce, plus ample… Enfin à condition de ne pas perdre de vue l’essentiel…

le bébé : c’est quoi, l’essentiel ?

La maman : La vie sur notre terre, c’est comme les feuilles des arbres, ça ne peut pas durer éternellement, ça n’est pas pérenne. Il faut apprécier chaque chose avec subtilité, précieusement ; je ne connais rien qui ne soit pas fragile. La vie n’est pas compatible avec la négligence. Il faut comprendre que les actions, les choix même simples de chacun influencent l’avenir de tous les êtres vivants.

le bébé : Hou la la ! ça va être compliqué ! Comment je vais faire, moi, tout seul !

La maman : Mais tu ne seras jamais seul Bébé. Tu auras toujours ton génome avec toi.

le bébé : Et c’est quoi, ça, un génome ?

La maman : C’est ton programme, celui qui t’a construit. Il te vient de moi bien sûr, mais aussi de ton père, de nos parents, de nos grands-parents et ceci depuis la création du monde. Il t’a été donné par tous ceux qui ont vécu avant toi, il contient l’histoire de notre humanité. Il est si élaboré et si fragile à la fois. Pense que tu devras le transmettre toi aussi et de préférence en bon état. Alors sois vigilant. Ecoute ton corps, écoute tes émotions. Ecoute ta réalité profonde. Ecoute cette longue chaîne d’amour. Ton génome contient des réponses, des ressources insoupçonnées. Ce n’est pas seulement une suite d’informations, c’est une synergie de toutes ces informations. Il est ta vie ; il est LA VIE….Alors ?

le bébé : Alors quoi ?

La maman : Viens-tu maintenant ?

le bébé : Attends un peu.

La maman : Oui, un peu…. Allez, viens, tu es mon avenir et l’avenir de ce monde. Viens écouter, regarder, apprendre, réfléchir et aimer. Sans la connaissance et sans l’amour on peut craindre les lendemains. Viens apporter ton aide ! Viens voir ce nouveau jour !

le bébé : Je viens...

19/03/2009

Résultats du concours (4)

Le deuxième prix du concours de la semaine de la langue française est attribué à Isabelle Ronté. Son texte est de tonalité tragique, mais il possède une grande force dramatique. Dans les propos échangés par deux personnages, simplement désignés par des lettres A et B (comme chez Beckett), toute l'injustice du monde est dite. Ce beau texte, très émouvant, a été retenu par le jury qui s'est montré très sensible aux idées généreuses que l'auteur exprime et à la musicalité du dialogue.

Transcender la mort

Dans une chambre d’hôpital, un enfant endormi dans un lit, il s’appelle Younes, deux soignants parlent près de lui.

A - Salut l’artiste, toujours fidèle au poste ?

B - Et oui, et toi t’as repris du service ?

A - Je remplace Manu, son gamin est malade. Alors toujours en train de
rimer la vie ?

B - Plus que jamais, devant ce gosse, la poésie me permet de voir, de
ressentir la beauté de la vie et même de la mort

A - Oui, moi j’ai un appareil numérique, la beauté de la vie, je te la
transforme en format 10x15, la beauté de la mort, tu m’excuseras,
mais la mort c’est le néant et mon sony ne photographie pas le
vide.

B - Mais la poésie, c’est aussi la musique, la musique des rimes.

A - Je peux te mettre un fond sonore si tu veux ?

musique de rap en sourdine

B - C’et quand même émouvant d’entendre un beau texte.

A - Ah oui...

B - Ecoute ! (Il chante sur un rythme de rap)
L’enfant regardait son ailleurs
Dans son regard nulle frayeur
Que pouvait-il ici bas désirer
Pas d’immortalité
Pour son corps en souffrance
Pas de clic sur le bouton chance

A - Ouais, ce gosse y va crever, Vu que personne n’est capable de
mettre deux génomes bout à bout pour le réparer, ce n’est pas la
peine de faire de belles phrases pour le dire.

B - Alors toi, tu vas dire, Younes est mort ce matin tout seul sur son lit
d’hôpital entouré de perfusion.
C’est une vision d’horreur.

A - Oui mais c’est la vérité toute crue. tu préfères que je te la joue
comme ça :
(chanté sur le rythme de rap)
Younes est mort ce matin
Il avait l’avenir dans ses mains
L’humanité n’a pas voulu de lui
Il nous quitte aujourd’hui
Son seul tort
Etre atteint d’une maladie non rentable
Pour l’industrie pharmaceutique
Il était né sur le mauvais continent
Il mourra sur le bon
Ses parents en camp de rétention
Pour avoir cru en un meilleur
Pour avoir cru à l’universalité du monde
Il n’y a d’universel que le capitalisme
Les frontières ne sont là que pour ceux qui souffrent
Tu vois ici même dans notre petit coin de terre
On met un péage pour protéger notre avenir
N’y a-t-il pas d’autres moyens pour vivre en harmonie
Que de se barricader et d’exclure nos semblables
On se donne bonne conscience, c’est pour la planète.

B - Tu vois, c’est quand même plus joli quand il y a de la musique dans les mots. Moi avec la poésie, je transcende la mort pour en faire
ressortir la beauté.
Son rire illumine le clair de terre
Virevoltant comme une phalène
Younes a vaincu l’enfer
Sa vie est désormais pérenne.

A - Clair de terre, vers de terre, c’est plutôt avec ceux-là qu’il va bientôt
pouvoir jouer.

B - Toi décidément, la beauté t’as du mal à capter.

A - Moi, mes capteurs sont plus réalistes, si t’as pas eu la chance
d’être compatible avec ta vie, ben tu crèves et c’est tout, que tu le
veuilles ou pas.

B - La poésie me permet justement d’aimer la vie, même si la mort est
au bout, justement parce que la mort est au bout.
La poésie me permet de rire de la mort et de pleurer de bonheur, la
poésie c’est la vie.

A - Oui, ta poésie, c’est une couverture dont tu entoures les mots pour
qu’ils disent en douceur l’horreur de cette fin. Toi ta patrie c’est la
poésie, moi j’ai choisi une fois pour toute la mienne.

B - Ah oui, laquelle ?

A - Ma patrie … c’est l’humanité*.

B - Et pour Younes, maintenant, sa patrie c’est l’éternité.



* Comme le souhaitait Victor Hugo, dans Le Rhin : "avoir pour nation, le monde, et pour patrie, l'humanité".